De Céline Raphaël, aux éditions Max Milo, Témoignage.
Résumé :
« Céline est privée de nourriture, battue des années durant, enfermée. Elle craint chaque week-end pour sa vie, travaille, travaille encore, pour briller et jouer les pianistes prodiges en gardant le secret sur l’horreur de sa vie familiale. Et autour d’elle, un silence assourdissant. Comment suspecter l’horreur de la servitude sous les atours de l’excellence ? L’exigence absolue de la perfection qui devient justification de tous les excès et de tous les abus et qui mystifie l’entourage d’autant plus facilement que cette esclave n’est pas affectée à une tâche de souillon mais à une production artistique réservée aux élites ? » Daniel Rousseau.
Mon ressenti :
Avoir un avis sur ce livre serait pour moi avoir un avis sur ce qu'a vécu Céline Raphaël. Et je ne peux me le permettre.
Elle dépeint ici le tableau d'un père autoritaire, violent, uniquement centré sur les prouesses artistiques de sa fille, oubliant en cela son humanité : elle devient objet de ses obsessions. Elle vit l'enfer depuis sa prime enfance, ouvre son cœur en posant des mots sur les maux et retrace son parcours, semé de coups de ceinture, de cris, de hurlements, de solitude, de culpabilité... et d'espérance.
La vie du père tourne autour du piano qu'il lui offre lorsqu'elle a deux ans et demi. Depuis, sa vie a pris une tournure cauchemardesque. Anorexie, insomnie, angoisse. La vie de Céline n'est plus une vie : elle survie à son quotidien, meurtrissant son corps et s'évadant comme elle le peut dans son monde imaginaire. Elle le peuple grâce à ses lectures. Les moments de répit sont peu nombreux, elle ne peut échapper à l'omniprésence de son bourreau.
Elle évoque également sa mère et sa sœur, qui elles n'ont pas subit les mêmes atrocités. Elle essaye de les protéger, évitant de se montrer car les coups n'ont jamais été portés devant des témoins au début. Et elle ne se confiera pas.
La sortie de l'enfer se fait par la nécessité de survivre.
Est ce que le livre dérange? Assurément. Il ne dérange pas par sa présence dans la presse, mais parce qu'il évoque cette réalité des enfants maltraités. Encore sujet tabou, on essaye de prouver que l'enfant dit la vérité, au lieu de l'accompagner en confiance vers un "mieux être". Les appels au secours qu'elle esquisse ne sont pas compris, elle se sent alors isolée, seule à vivre dans cette bulle épineuse.
Après la dénonciation, Céline passe par les témoignages, : police, juge, tribunal... Mais elle en ressort, se confronte à sa réalité et s'en suivront des mois de placements divers et la lutte pour ne pas perdre sa famille : celle ci est accusée et punie par la justice, et découle de cela une grande culpabilité d'avoir brisée sa famille.
Les violences faite aux enfants ne sont pas uniquement le fait d'alcoolique ou de miséreux. On retrouve des bourreaux dans n'importe quel tranche de la population, car l'horreur n'a pas de visage.
Un témoignage tout en pudeur, qui choque et perturbe nos émotions : comment rester insensible? La réalité de l'horreur n'est jamais bonne à dire, elle dérange. Qui? Les personnes qui ne voient pas ou ne veulent pas voir une réalité à laquelle ils ne sont pas préparés. Ils préfèrent faire l'autruche, parfois pour se préserver, parfois pour éviter d'être happé dans l’horreur : comment y survivre?
Pour aller plus loin, j'utiliserai un mot qui est souvent revenu durant mes années d'études (d'infirmière), introduit en France particulièrement par Boris Cyrulnik : "la résilience" qui consiste à prendre acte d’un traumatisme tel que le deuil, abandon, violence sexuelle, guerre, et à apprendre à «vivre avec», voire même à le dépasser. Céline y est elle parvenue?
Arriver à écrire ce livre a été sans aucun doute un traumatisme de plus à surmonter, mais une victoire sur soi même, car revivre le passé en le posant par écrit et en prenant à nouveau conscience de ces actes a du être effroyable. Mais en même temps, un soulagement : on ressent l'inquiétude, mais la prose reste posée, sans métaphore ni exagération. L'exposé des faits à lui seul suffit à placer le lecteur dans une position délicate : devenons nous confident? sans aucun doute, mais avec un regard bienveillant à poser sur ces blessures, tel un baume cicatriciel...
Un récit brutal, difficile à terminer. Mais à lire, pour ne pas oublier, pour aider et pour libérer les paroles.
A la fin de son introduction, Céline nous fait une demande :
"Écoutez-moi".
J'ai écouté l'histoire, je l'ai entendu, et je la porte. Comme une part de ce chagrin trop lourd à porter seule.
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