lundi 29 avril 2019

"Un métro pour Samarra" - Isabelle de Lassence

Isabelle de Lassence

Un grand merci à Babélio et aux éditions Hachette pour cette belle lecture dans le cadre d'une masse critique.

D'Isabelle de Lassence, éditions Hachette, Voyage, Roman, 2019

Résumé :

Swann Delva étudie la philosophie à la Sorbonne. Le jeune homme, qui s'imagine devenir un penseur en vogue, est contraint de travailler à la RATP pour financer ses études. Tandis qu'il fait ses premiers pas au guichet, il découvre la vie souterraine et consigne ses pensées dans un petit carnet. Son chef, pour l'impressionner, lui fait visiter les stations fantômes du réseau parisien et Swann se prend de passion pour ces lieux désaffectés et plus particulièrement pour la station Haxo, dans le 19e. Alors qu'il s'installe dans une rame abandonnée de cette station, le voici transporté à Samarra, ville d'Irak au Moyen Age, où un calife des Mille et Une Nuits lui pose la plus grande question de l'humanité : peut-on espérer une vie après la mort ? Pas évident, quand un alchimiste peu scrupuleux lui fait concurrence et que le sommeil le ramène à Paris où la vie continue… Pour conserver ses privilèges au palais et les faveurs d'une belle astrologue, le jeune homme cherche la réponse aux angoisses du souverain, qu'il ne trouvera pas dans les livres… Ce sont 33 jours qui vont bousculer le quotidien de Swann et le conduiront à être plus présent à la vie.

Mon avis :

    Passionné par la philosophie qu'il étudie, Swann doit tout de même gagner sa vie. Pour subsister, il travaille dans le métro parisien où il consigne ses observations et découvertes dans un petit carnet. Mais de découvertes en curiosité, alors même qu'on lui fait visiter les arrêts et lignes "fantômes", l'une d'elles attire son attention : la station Haxo. Débute alors pour Swann un périple auquel il ne s'attendait pas, se réveillant dans une ville d'Irak, à Samarra où il est conduit auprès du calife. Malgré la situation, l'étonnement, débute une interrogation, un voyage initiatique : y a-t-il une vie après la mort ? Le voyage qui débute n'est pas que géographique, mais spirituel et intérieur.

    Pour être honnête, les débuts de ma lecture ont été assez fastidieux. Cela n'a pas duré très longtemps, mais je me suis surprise à reposer le livre assez vite après une dizaine de pages, le laisser reposer entre deux lectures, et y revenir. Et à un moment donné, je n'ai plus lâché l'histoire et cette capacité de l'auteur à nous faire voyager et réfléchir. Je ne saurai expliquer ce début de lecture hormis un état personnel non en lien avec le livre. Mais cela veut aussi dire beaucoup sur notre capacité à entrer dans une histoire au moment où on se sent capable de le faire… Cette lecture apaise.

    Le style d'Isabelle de Lassence est à la fois poétique, philosophique, très centré sur la pensée et pourtant pleine d'humanité. J'ai aimé ces contrastes parfois saisissant entre l'obscurité et l'enfermement du métro mis en parallèle à cette soif de liberté et cette lumière au combien intense lors des voyages de Swann à Samarra. J'ai été séduite par le rythme qui était changeant. Passé mes premières difficultés, je suis entrée avec facilité dans l'histoire, son sens. Il y a eu des passages parfois trop longs et pesant, mais l'enchaînement des chapitres étaient bien construit également : les journées de Swann s'égrènent et l'intrigue s'intensifie.

    Le personnage de Swann Delva est attachant, imparfait. Il a soif de reconnaissance, mais ne trouvera pas forcément ce qu'il cherche dans la "réalité" temporelle. Il est entier, imparfait, humain, il nous fait réagir et il est plaisant de voir un personnage entier : qualités et défauts. Certains passages nous font bondir, d'autres abreuvent notre propre réflexion. Ce que je peux décrire par les mots "moi, je" définis assez bien Swann : porté sur lui-même et mettant en avant et en position préférentielle sa pensée et son avis. Il n'a pas été pour autant antipathique. Agaçant, mais comme je l'ai souligné plus haut : humain avec ce qu'il peut y avoir de positif ou d'irritant. Assez paradoxal, car d'habitude, ce style de personnage a tendance à me rebuter.

    L'ensemble est réussi : un voyage initiatique, un voyage personnel pour Swann, des rencontres atypiques et une aventure qu'on aimerait parfois ne pas voir se terminer. Certains passages sont assez contemplatifs, d'autres, en particulier avec la mère de Swann, sont remplie de bienveillance.
    J'aime beaucoup certains films du cinéma contemplatif : certaines scènes peuvent durer quelques minutes alors que très peu de choses se jouent à l'écran. J'ai ressenti quelque chose d'assez similaire : certains passages manquaient de rythme, mais en même temps, ils sont là pour habiller la réflexion.

En bref :

Un voyage initiatique où la réflexion traverse les pages et nous permet de nous questionner nous-même. Des personnages entiers, imparfaits servis par une écriture pleine de poésie et de délicatesse.

lundi 8 avril 2019

"Agnès" - Peter Stamm

Peter Stamm

De Peter Stamm, édition Christian Bourgois Editeur, Roman, Amour, 2008

Résumé :

Dans la salle de lecture surchauffée de la bibliothèque municipale, ils ont échangé leurs premiers regards. Puis autour d'un café, leurs premiers mots. II est suisse et fait des recherches sur les wagons de luxe américains. Elle est américaine, étudiante en physique et rédige sa thèse de doctorat. Ils dînent ensemble, partent en excursion dans les forêts environnantes, visitent les musées. Un jour, Agnès lui demande d'écrire un portrait d'elle. Soir après soir, il se prête à ce qui n'est au début qu'un jeu. Mais peu à peu, leur vie se conforme aux aléas du récit, au risque que celui-ci prenne le pas sur la réalité.

Mon avis :


    C'est l'histoire d'une rencontre. Des regards qui s'échangent, une discussion qui s'enclenche, une histoire qui débute. Mais elle est particulière cette histoire, à la fois distante et très proche. Mais elle existe. Tellement fort qu'elle est imaginée avant même qu'elle ne soit vécu. Ce qui devait être le portrait d'Agnès devient une histoire sans l'être réellement lorsque le narrateur écrit leur histoire à sa demande. Mais à la différence de ce qui est écrit, la vie réserve des surprises et des embûches qu'on ne pouvait pas prévoir à l'avance…

    Avant que le livre ne me tape dans l'œil, c'est ce qu'en a dit un lecteur qui l'a présenté sur un réseau social qui avait attisé ma curiosité. En terminant le livre, je suis toujours dans le même étonnement et je ne peux pas mieux résumer l'histoire en disant qu'il s'agit d'une histoire d'amour dont les deux protagonistes ignorent sans doute la réalité.

    Peut-on apprécier un livre alors qu'on n'en apprécie pas forcément ses personnages ? Sans doute que oui ! Autant le narrateur qui parle de l'histoire et Agnès m'ont semblé lointain, impersonnel, vissé à eux-mêmes. En cela, j'ai l'impression de manquer d'information malgré ce qui est révélé au fur et à mesure des pages, pour les apprécier. Cependant, le flou dans lequel j'étais m'a permis d'observer leur relation non pas d'un point de vue pur des sentiments, mais des mouvements de leur histoire. Je ne sais pas si j'arriverais à être claire avec ce ressenti. Il ne s'agit pas de romance, mais d'une histoire d'amour étrange, qui, même si présentée pleine et entière, ne vit sans doute que de ce qu'elle parait être. Il y a lui, il y a elle…

    L'écriture de Peter Stamm est entrainante, mesurée, il y a une pointe de froideur dans la description des événements que j'ai appréciée. On est loin de "Love Story" d'Erich Segal ou de "Roméo et Juliette" de Shakespeare où l'intensité de la relation est prégnante. Ici, il y a un détachement qui m'a plu. Lui est écrivain, elle, lui demande d'écrire sur leur amour. Et il en ressort que leur histoire n'est que ce qu'elle semble être : d'une banale réalité alors même que ce qui est écrit fait trembler ce qu'ils vivent. Les paragraphes effacés et réécrit… Et faire coller la réalité à la fiction…

En bref :

Un livre court sur une relation, son début, ses hauts et ses bas et sa banalité mis en lumière par une écriture pondérée et attractive ! J'adhère !

jeudi 4 avril 2019

"Jours d'inceste" - Anonyme

Anonyme, aux éditions Payot, Témoignage, 2017.

Résumé :


« Je crois que tout le monde a le droit de raconter son histoire. Pour diverses raisons, j’ai choisi l’anonymat pour raconter la mienne. » Elle revient de l’enfer, elle est descendue si loin dans l’horreur, elle a survécu, elle témoigne. Parce qu’elle a tenu à rester anonyme, l’auteure de Jours d’inceste porte la parole de celles ou ceux qui ne peuvent ou n’osent encore parler. Ce qu’elle décrit de l’intérieur avec sa voix unique, radicale, et qu’elle a enduré de la petite enfance jusqu’à l’âge de vingt et un ans, pourra choquer ceux qui refusent de savoir. Les autres, tous les autres, reconnaîtront dans ces pages la vérité sur une emprise absolue, la vérité sur le tabou des tabous.

Mon ressenti :

Chronique différente de ce que je vous propose habituellement. Vous me comprendrez sans doute au vu du sujet particulièrement difficile.

    J'ai toujours lu des témoignages. La vie réelle est souvent bien plus horrible que n'importe quelle fiction. Elle ajoute à l'horreur la culpabilité, la souffrance, la peur de l'avenir. Est ce que ces personnes ont raison de mettre leur vie sur papier et partager cela avec le plus grand nombre ? OUI.

    Qu'il s'agisse de la petite enfance, de guerre, de discrimination, de violence, tout témoignage est nécessaire pour ne pas se mettre des œillères. Mais plus encore, se rendre compte d'une réalité non fantasmée. Dans un roman, on peut mélanger la réalité et fiction, on peut prendre un fait divers et extrapoler autour. Mais des agressions, cette souffrance qui s'accroche au corps et ne se détache pas, on aimerait plutôt se dire qu'on a tout inventé et ne pas faire face à cette réalité. Mais que reste-t-il lorsqu'une vie est brisée ?

    J'ai été profondément peinée et choquée de ce texte et il m'a fait me poser diverses questions. Comme pour le livre "La démesure" de Céline Raphaël, je n'ai pas d'avis sur le livre en lui-même, son écriture ou son style. Cela serait manquer de respect à la souffrance et au témoignage de cette personne. Il y a des éléments particulièrement choquant et l'auteur choisit de les révéler de façon anonyme pour se protéger et protéger l'équilibre sans doute qu'elle a su se bâtir. 

    C'est le premier témoignage que je lis où il est ouvertement question du "plaisir" physique lors d'une agression. Ce qui est dit est cru, choquant, source de malaise pour le lecteur. Mais c'est un fait, et la victime (car il s'agit ici d'une VICTIME) doit vivre avec ces abus ces sensations dans son corps et dans son âme. Elle égrène les souvenirs, et les conséquences sur sa vie adulte et surtout sur ses relations avec les hommes.

    Elle n'évoque pas vraiment la façon dont elle a surmonté ces traumatismes. Elle nous fait part des faits, simplement des faits. Et ce qui m'a le plus chagriné, où les larmes me sont montées aux yeux, c'est l'incapacité de trouver de l'aide malgré les personnes à qui elle en a parlé. POURQUOI ? Je peux entendre qu'il n'est pas facile d'écouter les victimes. En tant qu'infirmière, j'en ai recueilli des mots douloureux. Mais comment peut-on tourner le dos à un enfant en souffrance ? D'autant plus quand il s'agit de sa mère ?
 
    Ce témoignage n'est pas simple pour ses mots, pour ce qu'il évoque, pour ce qu'il referme. Et pourtant, oui, je persiste, il est nécessaire de laisser aux victimes un endroit ou déposer leur témoignage (pas leur plainte, cela est une autre histoire). Il est important que personne n'oublie que cela arrive, parfois dans des familles insoupçonnables. Récemment encore, un participant à un jeu télévisé a révélé son visage… Consulter des images à caractère pédopornographique, c'est une autre manière d'abuser les enfants. À mes yeux, cette population d'agresseur n'a aucune âme…

    Maintenant, j'aimerais exposer une crainte. À la lecture de ce livre, à la vue de ce que la victime expose, révèle, j'ai peur… Car il n'y aura pas que des personnes bien intentionnées qui liront ce témoignage et ça me fait mal de le penser…

    En France, l'inceste ne fait pas parti du code pénal. Il devrait. À lui seul, ce mot révère une quantité d'horreur, de solitude et de souffrance.

    Un site qui peut être consulté pour toute victime d'inceste : https://aivi.org/ Association internationale des victimes de l'inceste.
Ne pas fermer les yeux.