D'Alain Berthier, aux éditions le dilettante, Roman, 2020.
Résumé :
D’apprendre, comme nous le permet son préfacier Ghislain Pierre, que sous Alain Berthier se cache Alain Lemière (1901-1984), ami de Louis Guilloux, cofondateur du fugace vorticisme à la française et administrateur de la revue Bifur, cheville ouvrière des dictionnaires Quillet et auteur pour Hazan d’une tétralogie japonaise, à la fois nous renseigne et nous déroute. Car, avec Notre lâcheté, son unique roman paru Au sans pareil en 1930, il nous livre une de ces rares effractions littéraires où semble s’être déposée toute la lie de la vie, un élixir d’amertume hargneuse, un concentré de désespoir griffu qui font de ce livre un espace à risque. Monologue hanté d’un affligé de l’existence qui semble, muré dans sa réclusion intérieure, s’enliser en soi à chaque seconde un peu plus, soliloque d’un drogué de la souffrance qui va d’une fille l’autre, éperdu de déshérence sentimentale et de sordide sexuel, Notre lâcheté et son anti-héros finissent par toucher terre. Le port où il ancre se nomme Paule, une bourgeoise racoleuse, opulente et décatie avec laquelle il entame une danse de mort et d’humiliation où les coups portent moins que les insultes. Une ronde fatale, décrite d’un parler rêche et sans apprêt, à cru, n’offrant ni jour, ni échappée. Seul horizon à cet asservissement, la veulerie à laquelle, par intérêt, finit de s’abandonner le narrateur.
Une pépite oubliée déterrée par Le Dilettante, fidèle à sa vocation d’orpailleur.
Mon avis :
"Mais cette débauche avec des prostituées ne me donna à aucun moment l'impression de déchoir, j'avais beau choisir toujours des filles plus laides et plus vieilles - forcées à plus de complaisances - je me trouvais normal et logique avec moi-même dans une vie normale et réglée. Et l'indifférence où mes fautes laissaient ces femmes les réduisait à rien : à leur propre valeur."
J'ai essayé, durant ma lecture, de retrouver une histoire aussi dérangeante que celle-ci. Je n'y suis pas arrivée, et au fond de moi, je suis contente d'avoir pu lire quelques choses qui me sortent de mes habitudes. Et quelle claque ! Cet état quasi-végétatif dans une vie qu'on ne souhaite pas, mais dans laquelle on se complaît m'a fasciné. Autant, je n'arrive pas à être raccord aux propos loin de moi, de mes valeurs, autant cette histoire m'a simplement captivée par sa force brute, son ton crue et sans concession. Mon attention était tout entière à cette lente déchéance, sans y trouver de plaisir morbide, j'ai vraiment aimé lire ce véritable extraterrestre littéraire.
Ce livre, paru une première fois en 1930, me semble intemporel, malgré un style et un vocabulaire soutenu. Intemporel, car les souffrances, subies ou consenties existent toujours, de la même manière. La prise de conscience du narrateur est telle qu'elle semble entrer dans une normalité. Ce qu'il vit semble n'être que le reflet des silences complaisants de la société, passée et présente.
Lorsqu'il finit par rencontrer cette femme fortunée, Paule, il ne fait que se laisser aller à une facilité de la vie : elle finit par lui mettre la bague au doigt, il s'emprisonne dans un mariage qu'il ne souhaite pas, mais il s'y complait. J'ai même l'impression qu'il se résigne à vivre dans ce qui le révulse : "Tout était fini. J'avais atteint une vieillesse véritable. Rien ne changerait plus. J'entrais dans l'immobilité éternelle : je m'étais accompli et rien ne pouvait m'arriver, puisqu'on n'a d'autre but que soi-même. Le monde extérieur cessait d'exister, puisqu'il ne pouvait plus rien modifier de notre bonheur ni de notre malheur".
Les propos du narrateur concernant son épouse sont peu élogieux. Et pourtant, malgré le cynisme, la brutalité des mots, l'aversion que l'on ressent des personnages l'un pour l'autre et ce lien indéfectiblement cruel qui les unit, le tout donne à cette histoire une force littéraire. On est pris, serré par notre propre jugement, alors qu'on aimerait secouer cette fourmilière, on assiste impuissant à des décisions qui nous dépassent.
En bref :
Nous sommes loin de la littérature romantique. L'auteur met en exergue toute la condition dans laquelle le narrateur se trouve, résumé en un mot par le titre du livre. À lire !
Une pépite oubliée déterrée par Le Dilettante, fidèle à sa vocation d’orpailleur.
Mon avis :
"Mais cette débauche avec des prostituées ne me donna à aucun moment l'impression de déchoir, j'avais beau choisir toujours des filles plus laides et plus vieilles - forcées à plus de complaisances - je me trouvais normal et logique avec moi-même dans une vie normale et réglée. Et l'indifférence où mes fautes laissaient ces femmes les réduisait à rien : à leur propre valeur."
J'ai essayé, durant ma lecture, de retrouver une histoire aussi dérangeante que celle-ci. Je n'y suis pas arrivée, et au fond de moi, je suis contente d'avoir pu lire quelques choses qui me sortent de mes habitudes. Et quelle claque ! Cet état quasi-végétatif dans une vie qu'on ne souhaite pas, mais dans laquelle on se complaît m'a fasciné. Autant, je n'arrive pas à être raccord aux propos loin de moi, de mes valeurs, autant cette histoire m'a simplement captivée par sa force brute, son ton crue et sans concession. Mon attention était tout entière à cette lente déchéance, sans y trouver de plaisir morbide, j'ai vraiment aimé lire ce véritable extraterrestre littéraire.
Ce livre, paru une première fois en 1930, me semble intemporel, malgré un style et un vocabulaire soutenu. Intemporel, car les souffrances, subies ou consenties existent toujours, de la même manière. La prise de conscience du narrateur est telle qu'elle semble entrer dans une normalité. Ce qu'il vit semble n'être que le reflet des silences complaisants de la société, passée et présente.
Lorsqu'il finit par rencontrer cette femme fortunée, Paule, il ne fait que se laisser aller à une facilité de la vie : elle finit par lui mettre la bague au doigt, il s'emprisonne dans un mariage qu'il ne souhaite pas, mais il s'y complait. J'ai même l'impression qu'il se résigne à vivre dans ce qui le révulse : "Tout était fini. J'avais atteint une vieillesse véritable. Rien ne changerait plus. J'entrais dans l'immobilité éternelle : je m'étais accompli et rien ne pouvait m'arriver, puisqu'on n'a d'autre but que soi-même. Le monde extérieur cessait d'exister, puisqu'il ne pouvait plus rien modifier de notre bonheur ni de notre malheur".
Les propos du narrateur concernant son épouse sont peu élogieux. Et pourtant, malgré le cynisme, la brutalité des mots, l'aversion que l'on ressent des personnages l'un pour l'autre et ce lien indéfectiblement cruel qui les unit, le tout donne à cette histoire une force littéraire. On est pris, serré par notre propre jugement, alors qu'on aimerait secouer cette fourmilière, on assiste impuissant à des décisions qui nous dépassent.
En bref :
Nous sommes loin de la littérature romantique. L'auteur met en exergue toute la condition dans laquelle le narrateur se trouve, résumé en un mot par le titre du livre. À lire !