dimanche 25 février 2018

"Le pont flottant des songes" - Junichirô Tanizaki


De Junichirô Tanizaki, édition Folio, 1re édition française 2009 chez Gallimard, Nouvelle, Récit, Féminité.

Résumé :

Tadasu a grandi, mais il reste toujours un petit enfant lorsqu'il pense à son enfance et à sa mère, la merveilleuse Chinu, si bien réincarnée dans la seconde femme de son père, avec qui il entretient une relation trouble mêlant amour filial et désir.

Un magnifique éloge de la maternité et une réflexion sur l'image de la Femme.

Mon avis :

    Tadasu est à présent un jeune homme. Il se souvient de son enfance, dans la maison familiale où il a grandi : l'Ermitage des hérons. Il se souvient de ses mamans, de son père et de cette époque où les émotions et sentiments sont teintés d'étrangeté. Sa première maman, décédée en couche lorsqu'il était tout petit vers cinq ans. Après une période de deuil, son père décide de prendre une jeune femme pour épouse. Celle-ci s'impose avec la douceur, le raffinement de sa première maman, imitant sa façon de parler, de se comporter et d'être, au point où les souvenirs de Tadasu se confondent entre sa mère biologique et la seconde femme de son père. Elle sera même rebaptisée Chinu, du nom de sa vraie mère. Elle jouera du koto avec délice et encouragera même Tadasu à revenir téter son sein. De souvenirs en prise de conscience, il se souviendra de sa nourrice, du médecin de famille et de toutes ces rumeurs autour de sa famille.

    Malgré la longueur du livre, une centaine de pages, l'histoire est riche et mène à une réflexion quasi-œdipienne. C'est un hymne à la maternité, à la féminité, au rôle de mère. Tout ce récit tient en ce lien entre Tadasu et ses mères. La position de la femme est ici mise en avant avec le rôle tenu dans la société : celui d'épouse, de mère.
    L'auteur parvient à mettre en exergue les difficultés pour le personnage à faire la différence entre les souvenirs de la première mère et de la seconde, ces passages sont même très touchant et révèle l'amour filiale pour ces deux mères. La maternité et le lien mère-enfant est au cœur des réflexions : Junichirô Tanizaki frôle avec l'interdit et la relation entre Tadasu et sa seconde mère est ambiguë.

    Provocation, ambiguïté, l'auteur joue sur les "limites acceptables". Tadasu grandit et certaines scènes peuvent choquer et sembler malsaine. Mais on prend de la distance et Junichirô Tanizaki parvient avec sa plume à retranscrire ces scènes avec finesse et distance, mais aussi questionnement : Tadasu le premier se pose de nombreuses questions. Qu'il s'agisse de son lien avec sa mère, du rôle que son père a joué en "plaçant les pions pour que sa seconde femme vive heureuse. Et cette relation qui lui manque, son frère Takeshi qui fut adopté à la naissance, décision des parents... La famille est un cercle étrange où des événements souvent incompréhensibles se jouent. 
    Il y a du désir, de la sensualité et les descriptions, parfois oniriques, rendent la situation floue. Le narrateur, avec la retranscription de ses questions et de ses doutes, arrive à nous faire sentir que oui, quelque chose ne va pas, mais ce n'est pas forcément ce qu'on croit.

    Une histoire courte qui débute dans l'innocence avant de nous faire plonger dans le doute des relations adultes. Je n'ai pas trouvé l'histoire érotique, mais effleurant le "politiquement correct". Et que dire de la plume de Tanizaki qui nous transporte avec poésie et délectation dans certains poèmes japonais.

En bref :

Une belle expérience littéraire, une lecture provocante sur certains points, mais qui met en avant le rôle de mère d'une femme. Un livre qui demandera sans doute une relecture pour apprécier tout le style de l'auteur.


samedi 24 février 2018

"Va-t'en, Alfred!" - Catherine Pineur


De Catherine Pineur, édition L'École des Loisirs, 2015, Jeunesse, album.

Résumé :


Alfred n'a plus de maison. Il a juste eu le temps de prendre sa petite chaise et il est parti. « Vous voulez bien me faire une petite place ? » demande Alfred.« Tu n'y penses pas, c'est bien trop petit ici. Va-t'en ! »« Hé, là-haut ! Je peux venir avec vous ? »« Oh, mais non, tu es bien trop lourd ! Et avec ta chaise, ce n'est pas très pratique. Va-t'en ! » Là-bas, Alfred voit une toute petite maison. C'est la maison de Sonia… À partir de 4 ans.

Mon avis :

    En règle général, les livres pour enfant et les différents albums jeunesse ont une histoire assez simple, mais qui recèle une morale intéressante à développer avec son enfant : tolérance, émotions et gestion de celles-ci, amitié, courage et bravoure... Mais ici, j'ai bien du mal à décrire l'histoire et j'ai eu bien du mal à la lire à mon fils.

    Alfred est un oiseau qui est chassé de chez lui et a du mal à trouver un nouveau chez lui. Il n'a pu prendre avec lui que sa petite chaise. Il est chassé de partout. Il finit par trouver quelqu'un qui l'invite à prendre un café : il s'agit de Sonia qui l'avait déjà repéré la veille lorsqu'il était devant sa maison.

    Si le thème de l'abandon est présent, il est difficile d'expliquer à un enfant pourquoi il a été chassé de chez lui. "Alfred est un drôle d'oiseau", ainsi commence l'histoire. Mais drôle pour un enfant, c'est rigolo, alors pourquoi le chasser et lui dire de s'en aller s'il est rigolo ? De plus, peut importe l'endroit où il passe, on lui dit de s'en aller, sans explication.
    Mon fils a bientôt 5 ans, j'ai déjà abordé avec lui le fait qu'il existe des personnes sans-abris. Mais il est difficile d'en faire un parallèle avec l'histoire d'Alfred. De plus, la fin de l'histoire n'est pas une fin, elle s'arrête sans mot dire sur la rencontre d'Alfred et Sonia.

    J'ai dû broder tout au long de l'histoire. Même si en général, je lis toujours les livres avant de les proposer à mon fils, il a reçu celui-ci dans le cadre d'un abonnement à Minimax, une collection de l'École des Loisirs disponible à son école. Donc il voulait tout de suite lire la lire.
    Les dessins sont assez froids, et le texte pas assez explicite. La fin n'étant pas compréhensible pour un enfant (car il n'y a pas de chute), j'ai brodé et inventé pour satisfaire la curiosité de mon fils et ses innombrables questions. 

En bref :

Une déception face à une histoire dont le thème est intéressant à traiter avec les enfants : le rejet, l'abandon, la tolérance de quelqu'un qui nous accepte. Mais l'histoire n'est pas assez accessible à l'enfant qui ne comprend pas le texte et qui ne s'approprie pas les dessins.

vendredi 23 février 2018

"La fille du roi des marais" - Karen Dionne


En partenariat avec NetGalley et les éditions JC Lattès que je remercie.

De Karen Dionne, édition JC Lattès, sortie 07 mars 2018, Thriller psychologique.

Résumé :

Enfin, Helena a la vie qu'elle mérite ! Un mari aimant, deux ravissantes petites filles, un travail qui occupe ses journées. Mais quand un détenu s'évade d'une prison de sa région, elle mesure son erreur : comment a-t-elle pu croire qu'elle pourrait tirer un trait sur son douloureux passé ?

Car Helena a un secret : elle est l'enfant du viol. Sa mère, kidnappée adolescente, a été retenue prisonnière dans une cabane cachée au fond des marais du Michigan, sans électricité, sans chauffage, sans eau courante. Née deux ans plus tard, Helena aimait cette enfance de sauvageonne. Et même si son père était parfois brutal, elle l'aimait aussi jusqu'à ce qu'elle découvre toute sa cruauté.

Vingt ans après, elle a enfoui ses souvenirs si profondément que même son mari ignore la vérité. Mais aujourd'hui son père a tué deux gardiens de prison et s'est volatilisé dans les marais, une zone qu'il connaît mieux que personne. Malgré la chasse à l'homme lancée par les autorités, Helena sait que la police n'a aucune chance de l'arrêter. Parce qu'elle a été son élève, la seule personne capable de retrouver cet expert en survie, que la presse a surnommé Le Roi des Marais, c'est sa fille.

Mon avis :

    Lorsqu'on lit un thriller, les sensations que l'on recherche sont parfois étranges : frisson, effroi, plongé dans les méandres d'une traque ou d'une enquête. Le plus souvent, nous devenons l'inspecteur en charge de l'enquête aidée par une narration à la première personne ou par la vision en "double jeu" : l'histoire du tueur en parallèle à l'enquête de police.
Mais comment se déroule la lecture lorsque c'est une proie qui devient chasseur ?

    Helena vit aujourd'hui avec son mari Stephen et ses deux filles : Sou et Iris. Un jour, elle entend en voiture qu'un prisonnier dangereux venait de tuer les gardes qui l'accompagnaient et s'est enfui. Son sang se glace lorsqu'elle apprend l'identité du fugitif : son père, celui-là même qui s'est rendu coupable du kidnapping de sa mère et de les avoir gardées tant de temps dans les marais. La traque de la police commence. Mais Helena le sait, elle le connaît, elle pense et réagit de la manière dont il l'a façonné : elle est la seule à pouvoir l'arrêter. Débute alors la recherche de ce "roi des marais", alors qu'Helena nous raconte en parallèle ce qu'a été son enfance et sa vie lorsqu'elle s'est échappés des marais avec sa mère.

Quelle lecture !
    L'écriture a été déstabilisante au début : ce que je lisais était froid et distant, et manquant d'empathie. Très vite, je me suis habituée à cette narration à la première personne, à me retrouver dans les pensées d'Helena. L'auteur a réussi à retranscrire la personnalité d'Helena : le vocabulaire est simple, les descriptions directes et l'histoire, malgré sa longueur, va à l'essentiel. Il y a un côté torturé, différent qui est difficile à décrire. On est dans sa tête et c'est surtout cela qui est déstabilisant : nous perdons nos repères car l'histoire est racontée avec les repères d'Helena.  

    Dans cette lecture, nous connaissons les tenant et aboutissant : qui a été kidnappé, quand, comment. Ce qui nous tient en haleine, c'est cette capacité à retenir notre attention sur la traque. Notre curiosité est mise à rude épreuve, car les chapitres s'enchaînent entre les souvenirs du personnage principal et la réalité de la traque. La tension du huis clos est dense et ne m'a pas fait lâcher ma lecture jusque tard dans la nuit. Le suspens est accentué par l'environnement : malgré qu'il s'agisse de grands espaces, de forêt et de vie en pleine nature, on se sent oppressé et l'auteur parvient à intensifier progressivement cette sensation en fonction de l'avancement de la traque.

    La psychologie des personnages est très travaillée. Ma première impression a été de me dire qu'Helena est inconsciente du danger et ne prend des décisions que sur un coup de tête. Mais c'est en découvrant son histoire, sa façon d'apprendre la vie et les choses importante que l'on comprend et adhère (ou non) à ses choix.
    On pense au syndrome de Stockholm, la description de la vie de la famille est complexe : j'y ai ressenti de la tristesse, du dégoût et de la colère. Bien entendu, on se prend à s'imaginer dans cette situation, qu'est ce qu'on aurait fait à leur place face à un bourreau tout pouvoir. Les sentiments d'Helena sont ambivalents envers ce père qu'elle aimait petite et les ressentiments en découvrant la vérité. Malgré tout, la prise de parti est difficile : la façon de fonctionner d'Helena nous met à distance de l'empathie que l'on pourrait ressentir pour elle. tout cela vient du traumatisme qu'elle a vécut : pendant plus de dix ans, elle a apprit à vivre avec pour seul repère ce marais, la découverte du mensonge et des faits est une partie que j'ai adoré dans le livre ! 

En bref :

Un thriller psychologique réussit qui tient le lecteur en haleine lors d'une traque dans les marais. On est happé par une écriture efficace et qui interroge sur les conséquences psychologiques d'un rapt, kidnapping et mauvais traitements dans l'enfance.


mercredi 21 février 2018

"L'Atelier des souvenirs" - Anne Idoux-Thivet


Mes remerciements à NetGalley et aux éditions Robert Lafon pour cette opportunité.

D'Anne Idoux-Thivet, éditions Robert Lafon, 2017, Roman, Histoire de vie.

Résumé :

Lorsqu'elle hérite de la maison de sa grand-mère dans la Meuse, Alice décide de quitter sa vie de thésarde parisienne qui ne mène nulle part et de s'installer à la campagne. Elle se lance alors dans l'animation d'ateliers d'écriture dans deux maisons de retraite. Suzanne, Germaine, Jeanne, Élisabeth, Georges, Lucien... Les anciens dont elle croise la route sont tous plus attachants les uns que les autres.
Au fil des séances d'écriture, les retraités dévoilent des bribes de leur passé et s'attachent à la jeune femme, dont ils devinent la solitude. Bien décidée à lui redonner le sourire, la joyeuse bande de seniors se donne pour mission de l'aider à trouver l’'amour

Mon avis :

    J'ai travaillé plusieurs années auprès du troisième âge dans ma carrière. Étant infirmière, j'ai souvent regretté n'avoir pas assez de temps à leur consacrer, déjà surchargé par le travail d'une journée. Je ne vais pas refaire le débat, mais je pense que les têtes pensantes décidant tout là-haut devrait plutôt remplir ces têtes avec la réalité de terrain... Ceci est un autre débat.
    Travaillant aujourd'hui avec des enfants en situation de handicap, j'ai eu un grand plaisir à me plonger dans cette histoire, et me remémorer avec nostalgie de ces moments de vie heureux, tristes, étranges, sincères... Que de souvenirs, les miens, les leurs...

    Alice est une jeune femme plutôt réservée et solitaire qui s'installe dans la maison que lui a léguée sa grand-mère. Elle tente de chercher un travail dans sa branche, ayant fait de hautes études en sociologie, mais ne trouve rien. Qu'à cela ne tienne, elle décide de prendre le taureau par les cornes et crée sa propre entreprise et propose des ateliers de créativités auprès de deux EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes). Madame le Maire lui demandera également une intervention auprès des enfants pour des activités après l'école. Entre nostalgie et expression de soi, les ateliers des souvenirs permettront à Alice de s'épanouir en apportant de la gaieté auprès des ainés.

    Les relations humaines sont le fil conducteur de l'histoire. Bien sûr, cette humanité s'exprime avec ce qu'elle a de beaux : la bienveillance, l'amitié, la patience, la générosité et le don de soi. Mais il y a aussi ces côtés les plus sombres : les regrets, les années passées, les souvenirs douloureux, la tristesse et la mort. La richesse de ce livre est véritablement incarnée par ces sentiments, Alice sera le levier permettant à ceux-ci d'émerger.
    Je regrette ce côté un peu facile de l'histoire : fluide, tout se suit sans grandes anicroches. La réalité encore une fois n'est pas forcément tout aussi radieuse.

    La vie en maison de retraite ou en EHPAD n'est pas forcément toujours rose, et même si j'ai trouvé plusieurs aspects beaucoup trop idéalisés, je sais qu'il existe bon nombre de soignants et d'intervenants qui prennent à cœur leur travail et leur mission. On nous dit souvent dans notre pratique professionnelle qu'il faut savoir prendre de la distance. Mais voilà, la réalité, c'est que nous ne sommes que des humains, et que oui, nous nous attachons à ceux dont on prend soin, parce qu'il s'agit aussi d'être humains. Il ne s'agit pas seulement de réaliser un acte technique, mais de ne jamais oublier qu'ils ont été, sont et seront toujours des personnes.

    La lecture est agréable, sans prise de tête. J'ai beaucoup apprécié que le livre mette en avant les écrits des personnages et pas uniquement le point de vue d'Alice. Cela mettait beaucoup de diversité dans la lecture. Les souvenirs de la guerre, les amours naissant ou retrouvés et les rencontrent intergénérationnels donnent au livre son intérêt.

En bref :

Une lecture agréable mettant en avant l'humain sous toutes ses facettes : de la jeunesse à la vieillesse, amoureux ou solitaire. Un personnage principal attachant qui fera de son atelier de créativité un atelier des souvenirs où malice et générosité seront présentes.