mercredi 11 mars 2020

"Notre lâcheté" - Alain Berthier


D'Alain Berthier, aux éditions le dilettante, Roman, 2020.

Résumé :

D’apprendre, comme nous le permet son préfacier Ghislain Pierre, que sous Alain Berthier se cache Alain Lemière (1901-1984), ami de Louis Guilloux, cofondateur du fugace vorticisme à la française et administrateur de la revue Bifur, cheville ouvrière des dictionnaires Quillet et auteur pour Hazan d’une tétralogie japonaise, à la fois nous renseigne et nous déroute. Car, avec Notre lâcheté, son unique roman paru Au sans pareil en 1930, il nous livre une de ces rares effractions littéraires où semble s’être déposée toute la lie de la vie, un élixir d’amertume hargneuse, un concentré de désespoir griffu qui font de ce livre un espace à risque. Monologue hanté d’un affligé de l’existence qui semble, muré dans sa réclusion intérieure, s’enliser en soi à chaque seconde un peu plus, soliloque d’un drogué de la souffrance qui va d’une fille l’autre, éperdu de déshérence sentimentale et de sordide sexuel, Notre lâcheté et son anti-héros finissent par toucher terre. Le port où il ancre se nomme Paule, une bourgeoise racoleuse, opulente et décatie avec laquelle il entame une danse de mort et d’humiliation où les coups portent moins que les insultes. Une ronde fatale, décrite d’un parler rêche et sans apprêt, à cru, n’offrant ni jour, ni échappée. Seul horizon à cet asservissement, la veulerie à laquelle, par intérêt, finit de s’abandonner le narrateur.

Une pépite oubliée déterrée par Le Dilettante, fidèle à sa vocation d’orpailleur.

Mon avis :

"Mais cette débauche avec des prostituées ne me donna à aucun moment l'impression de déchoir, j'avais beau choisir toujours des filles plus laides et plus vieilles - forcées à plus de complaisances - je me trouvais normal et logique avec moi-même dans une vie normale et réglée. Et l'indifférence où mes fautes laissaient ces femmes les réduisait à rien : à leur propre valeur."

    J'ai essayé, durant ma lecture, de retrouver une histoire aussi dérangeante que celle-ci. Je n'y suis pas arrivée, et au fond de moi, je suis contente d'avoir pu lire quelques choses qui me sortent de mes habitudes. Et quelle claque ! Cet état quasi-végétatif dans une vie qu'on ne souhaite pas, mais dans laquelle on se complaît m'a fasciné. Autant, je n'arrive pas à être raccord aux propos loin de moi, de mes valeurs, autant cette histoire m'a simplement captivée par sa force brute, son ton crue et sans concession. Mon attention était tout entière à cette lente déchéance, sans y trouver de plaisir morbide, j'ai vraiment aimé lire ce véritable extraterrestre littéraire.

    Ce livre, paru une première fois en 1930, me semble intemporel, malgré un style et un vocabulaire soutenu. Intemporel, car les souffrances, subies ou consenties existent toujours, de la même manière. La prise de conscience du narrateur est telle qu'elle semble entrer dans une normalité. Ce qu'il vit semble n'être que le reflet des silences complaisants de la société, passée et présente.

    Lorsqu'il finit par rencontrer cette femme fortunée, Paule, il ne fait que se laisser aller à une facilité de la vie : elle finit par lui mettre la bague au doigt, il s'emprisonne dans un mariage qu'il ne souhaite pas, mais il s'y complait. J'ai même l'impression qu'il se résigne à vivre dans ce qui le révulse : "Tout était fini. J'avais atteint une vieillesse véritable. Rien ne changerait plus. J'entrais dans l'immobilité éternelle : je m'étais accompli et rien ne pouvait m'arriver, puisqu'on n'a d'autre but que soi-même. Le monde extérieur cessait d'exister, puisqu'il ne pouvait plus rien modifier de notre bonheur ni de notre malheur".

    Les propos du narrateur concernant son épouse sont peu élogieux. Et pourtant, malgré le cynisme, la brutalité des mots, l'aversion que l'on ressent des personnages l'un pour l'autre et ce lien indéfectiblement cruel qui les unit, le tout donne à cette histoire une force littéraire. On est pris, serré par notre propre jugement, alors qu'on aimerait secouer cette fourmilière, on assiste impuissant à des décisions qui nous dépassent.

En bref :

Nous sommes loin de la littérature romantique. L'auteur met en exergue toute la condition dans laquelle le narrateur se trouve, résumé en un mot par le titre du livre. À lire !

jeudi 27 février 2020

"Satan était un ange" - Karine Giebel



De Karine GIEBEL aux éditions Fleuve Noir, Roman policier, 2015.

Résumé : 

Tu sais Paul, Satan était un ange... Et il le redeviendra. Rouler, droit devant. Doubler ceux qui ont le temps. Ne pas les regarder. Mettre la musique à fond pour ne plus entendre. Tic tac... Bientôt, tu seras mort. Hier encore, François était quelqu'un. Un homme qu'on regardait avec admiration, avec envie. Aujourd'hui, il n'est plus qu'un fugitif qui tente d'échapper à son assassin. Qui le rattrapera, où qu'il aille. Quoi qu'il fasse. La mort est certaine. L'issue, forcément fatale. Ce n'est plus qu'une question de temps. Il vient à peine de le comprendre. Paul regarde derrière lui ; il voit la cohorte des victimes qui hurlent vengeance. Il paye le prix de ses fautes. Ne pas pleurer. Ne pas perdre de temps. Accélérer. L'échéance approche. Je vais mourir. Dans la même voiture, sur une même route, deux hommes que tout semble opposer et qui pourtant fuient ensemble leurs destins différents. Rouler droit devant, admirer la mer. Faire ce qu'ils n'ont jamais fait. Vivre des choses insensées. Vivre surtout… Car après tout, pourquoi tenter sans cesse de trouver des explications ?

Mon avis : 

Comment réagir lorsqu'on sait que la mort rôde ?

    François choisit de fuir : il quitte Lille, son quotidien, Florence à qui il n'ose pas parler de la nouvelle, ses clients, son cabinet d'avocat. Il fuit, pensant se protéger de la nouvelle, difficile à encaisser. Il fuit, essaye de protéger Florence, peut être pour ne pas regarder la réalité telle qu'elle est. Sur le chemin, au milieu de la route, un jeune homme faisant du stop. A peine 20 ans, Paulo se retrouve le compagnon de route de François. Lui aussi semble fuir, les événements finissent d'ailleurs par le rattraper. Deux chemins qui se croisent, l'arrivée est incertaine.

    L'écriture de Karine Giebel est très agréable : rythmée de phrase courte, elle accélère habilement le ton. Elle nous plonge dans l'histoire, en compagnie de personnages dont les personnalités sont très travaillées, complexes, vivantes. Imparfaites mais réalistes. Elle sait jouer de ses mots et nous plonger dans des sentiments et sensations ambivalents. Le bien, le mal ? La façon dont on regarde les choses a son intérêt. En cela, j'ai aimé le livre. Cette qualité d'écriture.

    Mais pour un polar, il m'a été facile de poser le livre quelques jours sans le toucher, sans avoir envie de retourner à l'intérieur. Le premier tiers a eu du mal à me tenir en haleine. J'ai eu du mal à me projeter dans la relation de ces deux hommes, de trouver l'histoire authentique. J'ai reposé le livre non pas pour ce qu'il contenait, mais pour ce qu'il ne contenait pas : mes propres projections. Cela fait longtemps que je n'avais pas plongé dans un polar, et j'ai commencé à en attendre plus que la simple histoire écrite.

    En revenant au livre, j'ai lu les deux tiers restant très rapidement. Le plus important n'est pas l'histoire en elle-même, mais le lien qui se crée entre ces deux hommes : ils ont chacun des raisons de fuir, des raisons de se retrouver, des choix à faire. Les autres personnages servent le duo, sont au service de ce qui se crée, j'ai presque trouvé leur présence dérangeante et peu attractive.

    Je reste mitigée sur l'ensemble du livre, la lecture a été très intéressante, mais il me manquait ce petit plus d'intrigue et de suspens.


En bref : 

La fuite en avant, la sensation de n'avoir plus rien à perdre, mais garder au fond de soi une lueur d'espoir. C'est ce que je retiens de cette histoire.