mercredi 11 mars 2020

"Notre lâcheté" - Alain Berthier


D'Alain Berthier, aux éditions le dilettante, Roman, 2020.

Résumé :

D’apprendre, comme nous le permet son préfacier Ghislain Pierre, que sous Alain Berthier se cache Alain Lemière (1901-1984), ami de Louis Guilloux, cofondateur du fugace vorticisme à la française et administrateur de la revue Bifur, cheville ouvrière des dictionnaires Quillet et auteur pour Hazan d’une tétralogie japonaise, à la fois nous renseigne et nous déroute. Car, avec Notre lâcheté, son unique roman paru Au sans pareil en 1930, il nous livre une de ces rares effractions littéraires où semble s’être déposée toute la lie de la vie, un élixir d’amertume hargneuse, un concentré de désespoir griffu qui font de ce livre un espace à risque. Monologue hanté d’un affligé de l’existence qui semble, muré dans sa réclusion intérieure, s’enliser en soi à chaque seconde un peu plus, soliloque d’un drogué de la souffrance qui va d’une fille l’autre, éperdu de déshérence sentimentale et de sordide sexuel, Notre lâcheté et son anti-héros finissent par toucher terre. Le port où il ancre se nomme Paule, une bourgeoise racoleuse, opulente et décatie avec laquelle il entame une danse de mort et d’humiliation où les coups portent moins que les insultes. Une ronde fatale, décrite d’un parler rêche et sans apprêt, à cru, n’offrant ni jour, ni échappée. Seul horizon à cet asservissement, la veulerie à laquelle, par intérêt, finit de s’abandonner le narrateur.

Une pépite oubliée déterrée par Le Dilettante, fidèle à sa vocation d’orpailleur.

Mon avis :

"Mais cette débauche avec des prostituées ne me donna à aucun moment l'impression de déchoir, j'avais beau choisir toujours des filles plus laides et plus vieilles - forcées à plus de complaisances - je me trouvais normal et logique avec moi-même dans une vie normale et réglée. Et l'indifférence où mes fautes laissaient ces femmes les réduisait à rien : à leur propre valeur."

    J'ai essayé, durant ma lecture, de retrouver une histoire aussi dérangeante que celle-ci. Je n'y suis pas arrivée, et au fond de moi, je suis contente d'avoir pu lire quelques choses qui me sortent de mes habitudes. Et quelle claque ! Cet état quasi-végétatif dans une vie qu'on ne souhaite pas, mais dans laquelle on se complaît m'a fasciné. Autant, je n'arrive pas à être raccord aux propos loin de moi, de mes valeurs, autant cette histoire m'a simplement captivée par sa force brute, son ton crue et sans concession. Mon attention était tout entière à cette lente déchéance, sans y trouver de plaisir morbide, j'ai vraiment aimé lire ce véritable extraterrestre littéraire.

    Ce livre, paru une première fois en 1930, me semble intemporel, malgré un style et un vocabulaire soutenu. Intemporel, car les souffrances, subies ou consenties existent toujours, de la même manière. La prise de conscience du narrateur est telle qu'elle semble entrer dans une normalité. Ce qu'il vit semble n'être que le reflet des silences complaisants de la société, passée et présente.

    Lorsqu'il finit par rencontrer cette femme fortunée, Paule, il ne fait que se laisser aller à une facilité de la vie : elle finit par lui mettre la bague au doigt, il s'emprisonne dans un mariage qu'il ne souhaite pas, mais il s'y complait. J'ai même l'impression qu'il se résigne à vivre dans ce qui le révulse : "Tout était fini. J'avais atteint une vieillesse véritable. Rien ne changerait plus. J'entrais dans l'immobilité éternelle : je m'étais accompli et rien ne pouvait m'arriver, puisqu'on n'a d'autre but que soi-même. Le monde extérieur cessait d'exister, puisqu'il ne pouvait plus rien modifier de notre bonheur ni de notre malheur".

    Les propos du narrateur concernant son épouse sont peu élogieux. Et pourtant, malgré le cynisme, la brutalité des mots, l'aversion que l'on ressent des personnages l'un pour l'autre et ce lien indéfectiblement cruel qui les unit, le tout donne à cette histoire une force littéraire. On est pris, serré par notre propre jugement, alors qu'on aimerait secouer cette fourmilière, on assiste impuissant à des décisions qui nous dépassent.

En bref :

Nous sommes loin de la littérature romantique. L'auteur met en exergue toute la condition dans laquelle le narrateur se trouve, résumé en un mot par le titre du livre. À lire !

jeudi 27 février 2020

"Satan était un ange" - Karine Giebel



De Karine GIEBEL aux éditions Fleuve Noir, Roman policier, 2015.

Résumé : 

Tu sais Paul, Satan était un ange... Et il le redeviendra. Rouler, droit devant. Doubler ceux qui ont le temps. Ne pas les regarder. Mettre la musique à fond pour ne plus entendre. Tic tac... Bientôt, tu seras mort. Hier encore, François était quelqu'un. Un homme qu'on regardait avec admiration, avec envie. Aujourd'hui, il n'est plus qu'un fugitif qui tente d'échapper à son assassin. Qui le rattrapera, où qu'il aille. Quoi qu'il fasse. La mort est certaine. L'issue, forcément fatale. Ce n'est plus qu'une question de temps. Il vient à peine de le comprendre. Paul regarde derrière lui ; il voit la cohorte des victimes qui hurlent vengeance. Il paye le prix de ses fautes. Ne pas pleurer. Ne pas perdre de temps. Accélérer. L'échéance approche. Je vais mourir. Dans la même voiture, sur une même route, deux hommes que tout semble opposer et qui pourtant fuient ensemble leurs destins différents. Rouler droit devant, admirer la mer. Faire ce qu'ils n'ont jamais fait. Vivre des choses insensées. Vivre surtout… Car après tout, pourquoi tenter sans cesse de trouver des explications ?

Mon avis : 

Comment réagir lorsqu'on sait que la mort rôde ?

    François choisit de fuir : il quitte Lille, son quotidien, Florence à qui il n'ose pas parler de la nouvelle, ses clients, son cabinet d'avocat. Il fuit, pensant se protéger de la nouvelle, difficile à encaisser. Il fuit, essaye de protéger Florence, peut être pour ne pas regarder la réalité telle qu'elle est. Sur le chemin, au milieu de la route, un jeune homme faisant du stop. A peine 20 ans, Paulo se retrouve le compagnon de route de François. Lui aussi semble fuir, les événements finissent d'ailleurs par le rattraper. Deux chemins qui se croisent, l'arrivée est incertaine.

    L'écriture de Karine Giebel est très agréable : rythmée de phrase courte, elle accélère habilement le ton. Elle nous plonge dans l'histoire, en compagnie de personnages dont les personnalités sont très travaillées, complexes, vivantes. Imparfaites mais réalistes. Elle sait jouer de ses mots et nous plonger dans des sentiments et sensations ambivalents. Le bien, le mal ? La façon dont on regarde les choses a son intérêt. En cela, j'ai aimé le livre. Cette qualité d'écriture.

    Mais pour un polar, il m'a été facile de poser le livre quelques jours sans le toucher, sans avoir envie de retourner à l'intérieur. Le premier tiers a eu du mal à me tenir en haleine. J'ai eu du mal à me projeter dans la relation de ces deux hommes, de trouver l'histoire authentique. J'ai reposé le livre non pas pour ce qu'il contenait, mais pour ce qu'il ne contenait pas : mes propres projections. Cela fait longtemps que je n'avais pas plongé dans un polar, et j'ai commencé à en attendre plus que la simple histoire écrite.

    En revenant au livre, j'ai lu les deux tiers restant très rapidement. Le plus important n'est pas l'histoire en elle-même, mais le lien qui se crée entre ces deux hommes : ils ont chacun des raisons de fuir, des raisons de se retrouver, des choix à faire. Les autres personnages servent le duo, sont au service de ce qui se crée, j'ai presque trouvé leur présence dérangeante et peu attractive.

    Je reste mitigée sur l'ensemble du livre, la lecture a été très intéressante, mais il me manquait ce petit plus d'intrigue et de suspens.


En bref : 

La fuite en avant, la sensation de n'avoir plus rien à perdre, mais garder au fond de soi une lueur d'espoir. C'est ce que je retiens de cette histoire.

dimanche 6 octobre 2019

"Festin de jeunesse" - Dominique Sels


Merci à Babélio et aux éditions de la Chambre du Loup pour cette lecture du théâtre contemporain.

De Dominique Sels, Editions de la Chambre du Loup, Théâtre, Sentiment.

Résumé :

Théâtre. Comédie dramatique. Bruno s’est détourné de Maud quand il a pris Maxime comme co-locataire. Maud s’est alors jetée à la tête de Fergusse le musicien, qui s’est vite montré cruel. Cela s’est passé au printemps, la saison où tout explose. Ce soir, Maud et Maxime passent le réveillon ensemble.
Mon avis :
    Maxime et Maud passent la nuit de la Saint-Sylvestre ensemble. Ils se remémorent cette année où les couples se défont ou naissent. Maud était avec Bruno avant que Maxime ne le lui "vole". Elle s'entiche ensuite de Fergusse alors même que la relation s'enlise durant l'année. C'est l'occasion pour les protagonistes de parler sentiments, de façon sincère et d'achever cette nouvelle année ensemble.

    J'ai relu durant l'été une multitude de pièces de théâtre. Shakespeare, Hugo, Racine, Molière… Des écrivains de talents, mais rien de contemporains. Le style est totalement différent dans la pièce de Dominique Sels, mais au final, on parle de sentiments, d'émotions. Maud est mise en valeur dans cet échange, Maxime lui sert de "miroir" à émotions : il lui renvoie régulièrement la situation qu'elle vit actuellement avec son musicien par exemple. Les sentiments de Maxime ne sont pas oubliés, il ne se trouve pas dans la même interrogation que Maud.

    J'ai apprécié cette pièce, cet échange entre sentiments et réflexions. En si peu de temps, on doit y raconter deux vies, deux histoires qui s'entrecoupent à l'occasion de rencontres. J'ai aimé ce ton intimiste, franc. Maud ne minaude pas, elle se questionne. Même si, je l'avoue, à un moment, j'aurais bien aimé la secouer pour lui ouvrir les yeux sur la situation qu'elle vit avec son musicien. Cela met en lumière la complexité de nos émotions et sentiments, ou les œillères que l'on porte pour ne pas regarder la réalité en face.

En bref :

Tantôt bavardages impertinents, tantôt profondeur de la réflexion, j'ai apprécié cette pièce qui n'hésite pas à aborder la prostitution masculine, les relations à distance, les sentiments et le tumulte qu'ils engendrent. J'aurais apprécié voir un Maxime plus présent, exprimant davantage de lui-même.





dimanche 1 septembre 2019

"Le temps des orphelins" - Laurent Sagalovitsch

Le temps des orphelins par Sagalovitsch

Un grand merci aux éditions Buchet Chastel et à Babélio pour cette lecture.

De Laurent Sagalovitsch, éditions Buchet Chastel, Roman, Seconde guerre Mondiale.

Résumé :

Avril 1945. Daniel, jeune rabbin américain, débarque au camp d'Ohrdruf avec les troupes alliées, averties d'une « situation dramatique ». Il recueille les récits, les requêtes et les supplications de déportés hébétés de faim et de désespoir et s'attache à un enfant de cinq ans, muet et inflexible. Il se donne alors pour mission de retrouver ses parents dans le second camp, celui de Buchenwald. Cette découverte reste à tout jamais, dans la mémoire de Daniel comme dans celle de tous ses contemporains, la rencontre avec le Mal absolu. Avec, lancinante, cette question insoluble : comment Dieu a-t-il pu permettre une telle négation ? Comment croire, aimer, vivre encore, après avoir vu ce que l'homme était capable de s'infliger à lui-même ?

Mon avis :


    Un livre sur la Seconde Guerre mondiale… Une autre histoire, un autre regard… À priori, on pourrait se dire qu'elle ressemblera à toutes les autres. Mais à cela, je dirai mon soulagement de lire encore des textes y faisant référence. Il ne faut pas oublier. Laisser cette plaie béante et nauséabonde est d'une nécessité humanitaire. Personne ne doit oublier ce qu'il s'est passé. Ni la haine, ni le déshonneur, ni les morts… Ni l'espoir en des lendemains plus sereins.

    L'expérience de lecture est particulière. J'ai lu le livre en vacances, entouré des chants des grillons et du bruit du vent, loin de la ville et de ses bruits. Une parenthèse apaisée qui m'a offert un instant de lecture concentré. J'ai pris mon temps, le style de Laurent Sagalovitsch s'y prête d'ailleurs. J'ai voyagé avec Daniel, jeune rabbin venu avec l'armée américaine et qui prête une oreille attentive aux soldats, aux mourants, aux victimes. Je n'ai pas quitté Daniel ni ses questionnements sur cette guerre, la question même de la légitimité de sa présence : peut-il accueillir tout ce que l'humanité a créé de pire ? D'un camp de concentration à un autre, d'un enfer à un autre, d'une victime à une autre, d'une réalité au cauchemar qu'elle révèle. Et au fur et à mesure prendre la mesure de ce qui s'est passé.

    J'ai apprécié cette descente aux enfers. Il ne s'agit pas d'un témoignage direct. Mais la fiction est tristement réelle. Laurent Sagalovitsch écrit avec mesure, le rythme est agréable à suivre. Le texte est entrecoupé des courriers que le rabbin reçoit de son épouse. Le contraste entre ses propos et ce que vit Daniel est cru : les préoccupations quotidiennes paraissent bien futiles face à la réalité de la guerre. J'ai beaucoup apprécié la description des personnages, ce qu'ils dégagent et la puissance parfois de ce qui est tu. Cela intensifie leur aura, leur individualité. Je dois dire que j'ai été vraiment happée par cette histoire. J'apprécie les récits relatifs à cette période et surtout les différents points de vue. Cela me pèse de voir l'être humain capable d'autant d'inhumanité. Et pourtant, aujourd'hui encore, les faits divers et autres informations de par le monde nous montrent des visages encore bien cruels. Mais il reste de l'espoir.

    Le personnage du rabbin Daniel est très complexe. C'est très agréable d'accompagner l'histoire d'un personnage aussi complexe et qui se questionne. Sa pensée évolue au fur et à mesure des découvertes et des rencontres. Les doutes font parti de son expérience et ils ont la place.

    Je reste sur ma fin. Sans pouvoir vraiment l'expliquer, les dernières pages ont du mal à m'évoquer la fin du livre. J'ai eu l'impression d'être mise sous pression et de terminer la dernière ligne pleine de tension et d'une sourde colère. J'ai eu besoin de temps pour digérer cette lecture, comme toutes les lectures mettant en scène des enfants qui ont souffert. C'est compliqué de se dire que des enfants de l'âge de mon fils voire plus jeune, ont vécu l'enfer, ne s'en sont pas sortis, ou alors marqué à vie…

En bref :

Pour ne jamais oublier. Une lecture originale pour voir et découvrir la guerre et les horreurs du 3e Reich dans les yeux d'un Rabbin. Original et marquant. Une écriture captivante.

dimanche 11 août 2019

"Faire des Européens" - Denis de Rougemont


Merci à Babélio et aux éditions La Baconnière pour cette lecture.

De Denis de Rougemont, éditions La Baconnière, Essai, Education, mai 2019.


Résumé :

Faire l'Europe, c'est d'abord faire des Européens : c'est par cette maxime que Denis de Rougemont ouvrait, en 1956, une réflexion visant à cerner les contours d'une conception spécifiquement européenne de l'éducation. Articles, conférences, pamphlet — le lecteur, averti ou néophyte, retrouvera ici la fougue de jeunesse et la flamme iconoclaste des fameux Méfaits de l'instruction publique (1929) —, ces contributions dessinent la géographie d'une passion maîtresse de l'auteur de L'Amour et l'Occident : l'éducation — qu'il ne faudra plus confondre après cela avec l'instruction — et la pédagogie, tous chevaux de bataille qu'il nous convie à enfourcher sans nous départir de cette seule méthode qui vaille en des temps troublés.
Cette méthode, qu'un vigoureux humanisme appelle, ne peut être que fédérale ou fédérative. C'est dire qu'elle ne peut viser qu'à rééduquer le regard des Européens à une certaine virtuosité dans les changements d'échelle, leur rappeler que le monde, la culture, la langue, sont des réalités plus vastes que ce que les œillères du nationalisme nous en laissaient envisager. Non pas pour imposer une quelconque "table rase" — c'est-à-dire défaire en un jour ce que le travail des générations a patiemment accumulé de saveurs et de savoirs, au service d'insipides communautés sans communion —, mais pour ravauder ce tissu de civilisation que doit demeurer l'Europe dans sa quête inlassable d'un sens.
Pour faire des Européennes et des Européens : c'est-à-dire avant tout des femmes et des hommes agissant pleinement en tant que personnes libres et responsables. Et de conclure comme il avait commencé : "La question est de savoir si nous serons des hommes de chair et d'esprit, ou des pantins articulés."



Mon avis :

    Le livre de Denis de Rougemont est dense, riche en recherches et réflexion, mais qui, à mon sens, doit se partager. Il est jalonné par les discours, écrits, conférences de cet homme, écrivain, intellectuel, grand défenseur d'une Europe fédérale. La présentation des textes de façon chronologique est appréciable, et on ressent tout au long de la lecture la ferveur de cet homme pour l'éducation et l'Europe.

    Lorsque je précise qu'il s'agit d'une lecture à partager, c'est qu'elle questionne sur des thèmes très important : l'éducation, lorsqu'on est parent, est primordiale. Denis de Rougemont explique à plusieurs reprise ce qu'il déplore dans l'école : que l'on cherche non pas à individualiser la personne, mais surtout à être en capacité à faire partie d'un tout. En ayant fait lire certains textes à une personne de ma famille, professeur d'Histoire Géographie à la retraite, nous sommes tombés d'accord sur l'importance certes de l'éducation à l'école qui donne les mêmes "chances et offre le même enseignement". Mais ce qui est important, c'est cette possibilité offerte aux enfants d'en découvrir plus, de faire émerger leur esprit critique, de leur faire découvrir et comprendre le monde, l'école seule ne peut le faire, l'entourrage de l'enfant prend la une place primordiale.
    Denis de Rougemont évoque très tôt une éducation qui permette de former des personnes autonomes, capable d'initiative. Il évoque l'éducation plus autoritaire de l'URSS et celle plus libertaire des USA expliquant qu'il y a un juste-milieu à trouver. Aujourd'hui encore, le débat autour de la scolarité, des différentes réformes de l'éducation nationale sont source de discussions animées. Y a-t-il une éducation parfaite ? Comme le souligne Denis de Rougemont, il y a sans doute autant que d'enfants : chacun évolue à son rythme en fonction de ses capacités. L'éducation évolue en fonction de son époque, sans doute aussi en fonction des besoins.

    La lecture a été parfois difficile car redondante. J'ai apprécié les différents points de vue de l'auteur qui, malgré qu'il soit écrit de 1929 à 1981, sont encore très actuels. L'avenir de l'Europe se construit chaque jour. Je pense d'ailleurs qu'on ne parle pas assez de l'Europe, de ce qu'elle fait pour les citoyens, de ce qu'elle protège. Elle ne sera jamais parfaite, car ne pourra pas plaire à tous, mais pour mieux la comprendre, il faut en parler.

En bref :

Essai intéressant, toujours d'actualité, l'éducation étant une question toujours posée.


lundi 29 avril 2019

"Un métro pour Samarra" - Isabelle de Lassence

Isabelle de Lassence

Un grand merci à Babélio et aux éditions Hachette pour cette belle lecture dans le cadre d'une masse critique.

D'Isabelle de Lassence, éditions Hachette, Voyage, Roman, 2019

Résumé :

Swann Delva étudie la philosophie à la Sorbonne. Le jeune homme, qui s'imagine devenir un penseur en vogue, est contraint de travailler à la RATP pour financer ses études. Tandis qu'il fait ses premiers pas au guichet, il découvre la vie souterraine et consigne ses pensées dans un petit carnet. Son chef, pour l'impressionner, lui fait visiter les stations fantômes du réseau parisien et Swann se prend de passion pour ces lieux désaffectés et plus particulièrement pour la station Haxo, dans le 19e. Alors qu'il s'installe dans une rame abandonnée de cette station, le voici transporté à Samarra, ville d'Irak au Moyen Age, où un calife des Mille et Une Nuits lui pose la plus grande question de l'humanité : peut-on espérer une vie après la mort ? Pas évident, quand un alchimiste peu scrupuleux lui fait concurrence et que le sommeil le ramène à Paris où la vie continue… Pour conserver ses privilèges au palais et les faveurs d'une belle astrologue, le jeune homme cherche la réponse aux angoisses du souverain, qu'il ne trouvera pas dans les livres… Ce sont 33 jours qui vont bousculer le quotidien de Swann et le conduiront à être plus présent à la vie.

Mon avis :

    Passionné par la philosophie qu'il étudie, Swann doit tout de même gagner sa vie. Pour subsister, il travaille dans le métro parisien où il consigne ses observations et découvertes dans un petit carnet. Mais de découvertes en curiosité, alors même qu'on lui fait visiter les arrêts et lignes "fantômes", l'une d'elles attire son attention : la station Haxo. Débute alors pour Swann un périple auquel il ne s'attendait pas, se réveillant dans une ville d'Irak, à Samarra où il est conduit auprès du calife. Malgré la situation, l'étonnement, débute une interrogation, un voyage initiatique : y a-t-il une vie après la mort ? Le voyage qui débute n'est pas que géographique, mais spirituel et intérieur.

    Pour être honnête, les débuts de ma lecture ont été assez fastidieux. Cela n'a pas duré très longtemps, mais je me suis surprise à reposer le livre assez vite après une dizaine de pages, le laisser reposer entre deux lectures, et y revenir. Et à un moment donné, je n'ai plus lâché l'histoire et cette capacité de l'auteur à nous faire voyager et réfléchir. Je ne saurai expliquer ce début de lecture hormis un état personnel non en lien avec le livre. Mais cela veut aussi dire beaucoup sur notre capacité à entrer dans une histoire au moment où on se sent capable de le faire… Cette lecture apaise.

    Le style d'Isabelle de Lassence est à la fois poétique, philosophique, très centré sur la pensée et pourtant pleine d'humanité. J'ai aimé ces contrastes parfois saisissant entre l'obscurité et l'enfermement du métro mis en parallèle à cette soif de liberté et cette lumière au combien intense lors des voyages de Swann à Samarra. J'ai été séduite par le rythme qui était changeant. Passé mes premières difficultés, je suis entrée avec facilité dans l'histoire, son sens. Il y a eu des passages parfois trop longs et pesant, mais l'enchaînement des chapitres étaient bien construit également : les journées de Swann s'égrènent et l'intrigue s'intensifie.

    Le personnage de Swann Delva est attachant, imparfait. Il a soif de reconnaissance, mais ne trouvera pas forcément ce qu'il cherche dans la "réalité" temporelle. Il est entier, imparfait, humain, il nous fait réagir et il est plaisant de voir un personnage entier : qualités et défauts. Certains passages nous font bondir, d'autres abreuvent notre propre réflexion. Ce que je peux décrire par les mots "moi, je" définis assez bien Swann : porté sur lui-même et mettant en avant et en position préférentielle sa pensée et son avis. Il n'a pas été pour autant antipathique. Agaçant, mais comme je l'ai souligné plus haut : humain avec ce qu'il peut y avoir de positif ou d'irritant. Assez paradoxal, car d'habitude, ce style de personnage a tendance à me rebuter.

    L'ensemble est réussi : un voyage initiatique, un voyage personnel pour Swann, des rencontres atypiques et une aventure qu'on aimerait parfois ne pas voir se terminer. Certains passages sont assez contemplatifs, d'autres, en particulier avec la mère de Swann, sont remplie de bienveillance.
    J'aime beaucoup certains films du cinéma contemplatif : certaines scènes peuvent durer quelques minutes alors que très peu de choses se jouent à l'écran. J'ai ressenti quelque chose d'assez similaire : certains passages manquaient de rythme, mais en même temps, ils sont là pour habiller la réflexion.

En bref :

Un voyage initiatique où la réflexion traverse les pages et nous permet de nous questionner nous-même. Des personnages entiers, imparfaits servis par une écriture pleine de poésie et de délicatesse.

lundi 8 avril 2019

"Agnès" - Peter Stamm

Peter Stamm

De Peter Stamm, édition Christian Bourgois Editeur, Roman, Amour, 2008

Résumé :

Dans la salle de lecture surchauffée de la bibliothèque municipale, ils ont échangé leurs premiers regards. Puis autour d'un café, leurs premiers mots. II est suisse et fait des recherches sur les wagons de luxe américains. Elle est américaine, étudiante en physique et rédige sa thèse de doctorat. Ils dînent ensemble, partent en excursion dans les forêts environnantes, visitent les musées. Un jour, Agnès lui demande d'écrire un portrait d'elle. Soir après soir, il se prête à ce qui n'est au début qu'un jeu. Mais peu à peu, leur vie se conforme aux aléas du récit, au risque que celui-ci prenne le pas sur la réalité.

Mon avis :


    C'est l'histoire d'une rencontre. Des regards qui s'échangent, une discussion qui s'enclenche, une histoire qui débute. Mais elle est particulière cette histoire, à la fois distante et très proche. Mais elle existe. Tellement fort qu'elle est imaginée avant même qu'elle ne soit vécu. Ce qui devait être le portrait d'Agnès devient une histoire sans l'être réellement lorsque le narrateur écrit leur histoire à sa demande. Mais à la différence de ce qui est écrit, la vie réserve des surprises et des embûches qu'on ne pouvait pas prévoir à l'avance…

    Avant que le livre ne me tape dans l'œil, c'est ce qu'en a dit un lecteur qui l'a présenté sur un réseau social qui avait attisé ma curiosité. En terminant le livre, je suis toujours dans le même étonnement et je ne peux pas mieux résumer l'histoire en disant qu'il s'agit d'une histoire d'amour dont les deux protagonistes ignorent sans doute la réalité.

    Peut-on apprécier un livre alors qu'on n'en apprécie pas forcément ses personnages ? Sans doute que oui ! Autant le narrateur qui parle de l'histoire et Agnès m'ont semblé lointain, impersonnel, vissé à eux-mêmes. En cela, j'ai l'impression de manquer d'information malgré ce qui est révélé au fur et à mesure des pages, pour les apprécier. Cependant, le flou dans lequel j'étais m'a permis d'observer leur relation non pas d'un point de vue pur des sentiments, mais des mouvements de leur histoire. Je ne sais pas si j'arriverais à être claire avec ce ressenti. Il ne s'agit pas de romance, mais d'une histoire d'amour étrange, qui, même si présentée pleine et entière, ne vit sans doute que de ce qu'elle parait être. Il y a lui, il y a elle…

    L'écriture de Peter Stamm est entrainante, mesurée, il y a une pointe de froideur dans la description des événements que j'ai appréciée. On est loin de "Love Story" d'Erich Segal ou de "Roméo et Juliette" de Shakespeare où l'intensité de la relation est prégnante. Ici, il y a un détachement qui m'a plu. Lui est écrivain, elle, lui demande d'écrire sur leur amour. Et il en ressort que leur histoire n'est que ce qu'elle semble être : d'une banale réalité alors même que ce qui est écrit fait trembler ce qu'ils vivent. Les paragraphes effacés et réécrit… Et faire coller la réalité à la fiction…

En bref :

Un livre court sur une relation, son début, ses hauts et ses bas et sa banalité mis en lumière par une écriture pondérée et attractive ! J'adhère !