lundi 6 juin 2016

"L'accordeur de silences" - Mia Couto




De Mia Couto, traduit par Elisabeth Monteiro Rodrigues éditions Métailié, 2011, Roman initiatique, drame.


Résumé :

La première fois que j’ai vu une femme j’avais onze ans et je me suis trouvé soudainement si désarmé que j’ai fondu en larmes. Je vivais dans un désert habité uniquement par cinq hommes. Mon père avait donné un nom à ce coin perdu : Jésusalem. C’était cette terre-là où Jésus devrait se dé-crucifier. Et point, final. Mon vieux, Silvestre Vitalício, nous avait expliqué que c’en était fini du monde et que nous étions les derniers survivants. Après l’horizon ne figuraient plus que des territoires sans vie qu’il appelait vaguement “l’Autre-Côté” ». Dans la réserve de chasse isolée, au cœur d’un Mozambique dévasté par les guerres, le monde de Mwanito, l’accordeur de silences, né pour se taire, va voler en éclats avec l’arrivée d’une femme inconnue qui mettra Silvestre, le maître de ce monde désolé, en face de sa culpabilité. Mia Couto, admirateur du Brésilien Guimarães Rosa, tire de la langue du Mozambique, belle, tragique, drôle, énigmatique, tout son pouvoir de création d’un univers littéraire plein d’invention, de poésie et d’ironie.


Mon avis : 

Mwanito vit dans un lieu dépourvu de monde. Il se trouve avec son frère et son père à Jesusalem, fondé par ce dernier. Ils y vivent accompagnés du militaire Zacaria Kalash. Régulièrement, son oncle Aproximado leur rend visite et leur apporte des denrées et des affaires du monde extérieur. Le père renomme le fleuve, dicte les lois, gère le quotidien, sans livres, sans femmes, sans vie.
Mwanito grandit et n'a aucun souvenir de la vie "d'avant". Mais son frère Ntunzi se souvient de certaines choses. Progressivement, Mwanito se pose des questions sur ce dehors et les limites que le père a dressé sur leur territoire. Il est également accordeur de silences pour son père, se posant silencieusement près de lui pour que ce dernier puisse trouver un certain apaisement.
Mais un jour, Mwanito découvre une femme dans leur village. Le monde connu devient un autre.

Je découvre la plume entêtante de Mia Couto avec un livre énigmatique, riche en apprentissage, dont la poésie est si bien ajustée qu'on ne parvient pas à sortir de sa lecture. Ce huit clos est incroyablement bien écrit, et c'est ce qui m'a le plus surprise : une qualité d'écriture sans précipitation, en douceur, en émotion.
Mwanito prend la parole à la première personne dans le livre, et nous voyons le monde de ses yeux : à la fois aveugle au monde, mais conscient de ce qui l’entoure. C'est fascinant d'ailleurs de retrouver ce paradoxe, car dans son discours, on perçoit ses doutes, mais il n'a connu que ce monde, il ne sait ce qui l'a mené ici ni ce qui a pu arriver à sa mère dont son père refuse de parler.
Les personnages sont poignants. Le père, Silvestre Vitalicio est un homme que le mot folie est faible à résumer tellement la complexité de ses actes est importante. Il gère Jesusalem comme un despote, un roi fou qui érige ses propres lois et sa propre histoire.
Chaque personnage est dressé dans sa souffrance, dans ses doutes, et chacun porte une cicatrice en lui. Ces dernières, que l'on découvre progressivement vers la fin du livre, laissent un goût âpre.

Silvestre Vitalicio éloigne la réalité, si bien qu'il se construit une réalité alternative dans un monde qui serait en décomposition. Il isole autant ses proches que lui-même. Son comportement insupporte, devient grinçant, et pourtant, je ne suis pas parvenu à le détester. L'auteur en dresse un portrait si plein, si rempli d'incohérences qu'on finit par ressentir une forme de pitié. Le plus étant surtout de voir ce qu'il fait vire à ses enfants dans ce "non monde".
Le personnage le plus présent est également le plus absent : Dordalma est la maman de Ntunzi et Mwanito. Ce dernier n'en a aucun souvenir, et ceux de son frère aîné ne sont pas intacts.

L'arrivée de la femme, blanche, Marta, soulève un tumulte important : Silvestre se métamorphose et devient plus bourreau encore dans un univers qui se fragilise. Je n'ai d'ailleurs pas trouvé qu'il y avait vraiment de personnage principal. Chacun est dressé avec égalité, je n'ai pas trouvé qu'un seul manquait de substance ou de profondeur. Même les personnages plus discret comme Nonci. 

Mia Couto nous invite au voyage, à poursuivre notre lecture sans avoir l'impression de devenir voyeur de ces souffrances et incompréhension. La qualité de son écriture donne au livre une aura plus intense : je me suis laissée embarquer sans avoir envie de quitter Mwanito, mais en même temps, j'avais envie de rentrer dans le livre et lui dire "ouvre les yeux", et pourtant, il les avait bien plus ouvert que moi...

Pour finir, je parlerai de la qualité de l'édition de ce livre : la couverture, dans un ton beige clair présente ce magnifique zèbre dessiné par ses zébrures noires. La mise en page interne met élégamment en valeur les poèmes de Sophia de Mello Breyner Andersen.


En bref : 


Une lecture énigmatique permettant un voyage intérieur sur les effets d'événements forts sur nos vies. Une lecture douce, travaillée, empêchant le lecteur de refermer le livre. Une lecture qui laisse un goût d'ailleurs. Un conte, un ailleurs !











2 commentaires:

  1. découvrir un ailleurs, peut être son ailleurs au travers d'une lecture est de bonne augure

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    1. C'est l'avantage des contes : il permet une vraie introspection^^.

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