lundi 12 mars 2018

"Jesse le héros" - Lawrence Millman


Merci aux éditions Sonatine et à NetGalley pour cette lecture en avant-première.

De Lawrence Millman, édition Sonatine, édition originale 1982, 15 mars 2018, Roman, Handicap, Meurtre.

Résumé :

1968, Hollinsford, New Hampshire. Élevé par son père, Jesse a toujours été un outsider au comportement inquiétant, rejeté par les autres enfants du village. Avec l’adolescence, les choses ne s’arrangent pas. On l’accuse aujourd’hui d’avoir violé une jeune fille, on le menace d’un placement en institution spécialisée. Mais tout ce qui préoccupe Jesse, ce sont les images du Viêtnam, qu’il suit obsessionnellement à la télévision, celles de cette guerre où est parti son frère Jeff, qu’il idolâtre. Lorsque celui-ci, démobilisé, revient au pays, rien ne se passe comme Jesse l’espérait. Et c’est pour notre héros le début d’une escalade meurtrière à la noirceur extrême.

Entre le Holden Caulfield de L’Attrape-cœur et le Patrick Bateman d’American Psycho, Jesse est difficile à situer. Est-il la victime d’un handicap mental, d’un contexte familial perturbé, d’une société où fleurissent les images violentes, ou bien un tueur en série sans empathie, capable d’éliminer ses contemporains aussi facilement que ces rats sur lesquels il aime tirer ? Lawrence Millman nous abandonne entre ces hypothèses perturbantes, jusqu’aux dernières pages du livre et leur étonnante conclusion.

Un chef-d’œuvre du noir enfin extirpé de l’oubli.

Mon avis :

    Jesse habite avec son père à Hollinsford. Celui ci vieillit, travaille dur pour subvenir au quotidien. Jeff, le fils ainé de la famille est actuellement au Viêtnam enlisé dans un conflit meurtrier. Jesse est heureux, il va revoir son frère, son meilleur ami et ils pourront jouer ensemble et Jeff pourra lui parler des "viets" qu'il a tué. Pris d'une pulsion, il agressera une petite fille. Lors d'une visite, le révérend informera le père de Jesse qu'il serait préférable de le placer dans un institut où ses problèmes seront bien compris et pris en charge.
    Pour l'instant, il refuse attendant le retour du fils ainé, celui qui, il l'espère, aura une solution. Mais le retour en permission ne se fera pas sous les meilleurs hospices : Jeff sera informé des agissements de Jesse et s'emportera. Les jours suivant seront ponctués par les recherches d'un des amis proches qui a disparu. Jesse lui ne veut qu'une chose : la guerre, voir toutes ces images qui le fascinent à l'écran, vivre la guerre avec son frère, connaître tous les détails. Son obsession le conduira à des agissements qui ne feront qu'alimenter son imaginaire. Quant au placement en institution...

    Cette lecture est fascinante. L'écriture est fascinante. Je n'ai pourtant pas du tout accroché au style, trop vulgaire pour moi. Et pourtant, il y a quelque chose d'hypnotique à suivre les agissements de Jesse dans cette histoire. La vulgarité est bien plus présente dans les dialogues, mais le style d'écriture est particuliers, vif, direct, un langage parfois parlé et simple renvoyant directement au handicap du jeune garçon. Lorsque je dis que je n'ai pas adhéré au style, c'est qu'il m'a gêné à de nombreuses reprises, par les scènes crues qu'il décrivait. Je ne parle pas uniquement des scènes d'agression ou de meurtres ; le quotidien avec Jesse est difficile, la vie avec Jesse est difficile, les fantasmes et obsessions de Jesse sont difficiles, pour lui-même, car il ne se rend pas compte de ce qu'il dit ou fait, pour ses proches qui vivent avec lui.

    L'élément principal de ce livre est le handicap du jeune Jesse. C'est un peu le fil conducteur du récit. Il faut se rendre compte qu'à cette époque, les hôpitaux psychiatriques n'avaient rien de ressemblant avec la prise en charge actuelle. Les traitements ne sont pas les mêmes. J'avais déjà évoqué le livre de Raymond Castells "Hôpital psychiatrique" qui mettaient aussi en exergue les conditions de prise en charge des patients atteintes de troubles psychiatriques. Quelques années séparent ces deux histoires, et pourtant... L'institut proposé sonne comme une prison aux oreilles de Jesse.

    L'atmosphère du livre est tout en nuances de gris : chaque événement évoque la personnalité de Jesse. Le lecteur n'est pas emmené par la main pour découvrir son histoire : il plonge dedans aidé par la plume de l'auteur. Il y a beaucoup de violence dans ce livre, mais aussi beaucoup de tristesse, le père se sent souvent désemparé par le comportement de son fils.
    La guerre du Viêtnam est un fil conducteur tout aussi important du livre et le titre du livre est amené par toute l'imagination obsessionnelle et malsaine de Jesse. Cette litanie est dérangeante, les propos de Jesse le sont tout autant. J'ai apprécié le comportement de Jeff, même si ce n'est pas le personnage sur lequel l'auteur s'attarde le plus : on se rend compte des séquelles que laisse la guerre aux paroles qu'il prononce en voulant répondre à Jesse sur ce qu'il a fait là-bas.

    La seconde moitié du livre, je ne souhaite pas trop l'aborder, car se serait en dévoiler beaucoup de l'histoire. Le chemin que le personnage cherche pour aller au Viêtnam sera jonché de corps, d'agressions, d'une personnalité limite et obsessionnelle. C'est la partie que j'ai préférée : on rentre davantage dans la psychologie de Jesse. On a appris à le connaître dans la première moitié et sur la seconde, on l'accompagne dans ses agissements. Ce qui est fascinant dans cette seconde partie, c'est la forme qu'a pris son obsession
    À la fin, j'ai eu l'impression que Lawrence Millman laissait en suspension une seule question : et vous, qu'auriez vous choisit de faire ?

En bref :

Malgré un style avec lequel je n'ai pas eu d'affinité, le comportement de Jesse a été à la fois effrayant et fascinant à observer. Une réflexion sur la prise en charge des personnes en situation de handicap à cette époque. Un chef d'œuvre du noir sans aucun doute !

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